Histoire du Limbourg Marcellin LAGARDE XI

LE DUCHE DE LIMBOURG REUNI AU DUCHE DE BRABANT

Le comte de Flandre qui, comme nous l'avons dit, avait reçu en engagement, de Renaud de Gueldre, les châteaux de Limbourg et de Rolduc, malgré la victoire du duc de Brabant, ne se montrait pas disposé à s'en dessaisir. Son épouse, Isabelle, l'excitait d'ailleurs contre ce prince, pour qui elle éprouvait une haine justifiée par le mal qu'il avait fait à sa famille (*).

Le sire de Fauquemont avait résolu, quoi qu'il pût lui en arriver, de ne pas reconnaître Jean 1er en qualité de duc de Limbourg. Le comte et la comtesse de Flandre l'y encourageaient fortement, et pour le mettre plus en état de résister à son puissant antagoniste, ils lui donnèrent le gouvernement du comté de Namur. Il avait déjà celui du comté de Gueldre, en l'absence de Renaud, son beau-frère. Waleran n'était pas homme à ne protester que par des paroles contre l'avènement de Jean 1er au duché de Limbourg. Il en vint bientôt à des actes d'hostilité ouverte. Le duc, qui regrettait chaque jour plus vivement que Waleran eût échappé à sa vengeance, entrait en fureur à la seule pensée qu'un simple baron osât insulter au vainqueur de Woeringen. Il alla, au mois d'août, assiéger le château de Fauquemont, après en avoir mis tous les alentours à feu et à sang. Waleran était alors à Namur, d'où il partit pour aller à son tour ravager les Etats de son ennemi. Jean 1er, qui pendant plus d'un mois s'était consumé en efforts infructueux devant Fauquemont, comprit que quel que fût le succès de son expédition, les avantages qu'il en retirerait n'équivaudraient pas aux pertes qu'essuyaient ses domaines envahis Il se hâta donc de regagner le Brabant, d'où Waleran, qui avait pleinement atteint son but , se retira à son approche pour aller s'enfermer dans le château de Namur.

Cependant, il ne cessa point de vexer les Brabançons, et il enflamma de nouveau la colère de leur prince, que nous retrouvons sous les remparts de Fauquemont, au mois d'octobre suivant.

Pendant ce temps, Renaud était tenu à Louvain dans une dure captivité. Ses amis étaient souvent intervenus en sa faveur. Ce n'est qu'au cinquième mois qu'ils déterminèrent le duc à entrer en négociation. Celui-ci prit l'évêque de Cambrai, Guillaume d'Avesnes, pour arbitre et promit le 24 octobre 1288, de s'en rapporter à sa décision sur tous les différents qui existaient entre lui, Renaud et leurs alliés respectifs, au sujet du duché de Limbourg. Plusieurs seigneurs s'engagèrent à forcer au besoin Jean 1er de tenir sa promesse. Le prélat fit savoir à Gui, comte de Flandre, la mission dont il était chargé, et l'informa en même temps qu'il avait engagé le duc à lever le siège de Fauquemont, à condition que Waleran n'exercerait plus d'hostilités sur les terres de Liège et de Brabant. Enfin il pria Gui de se trouver le 29 octobre au soir dans une ferme à Weiswiler près de Wittem, pour y traiter le lendemain avec Jean 1er, de la délivrance du comte de Gueldre. Dans cette conférence le comte de Flandre prit également, au nom de Renaud, l'évêque de Cambrai pour arbitre ; le duc lui, s'engagea dans le cas où il n'exécuterait pas la sentence à intervenir, à payer au comte de Gueldre une amende de cent mille livres parisis, dont son frère Godefroid et neuf chevaliers de bon lignage se portèrent solidairement caution. Le six novembre suivant, Guillaume d'Avesnes rendit une sentence préliminaire par laquelle il donna ordre au duc de Brabant et au comte de Flandre de lui remettre dans la huitaine, le premier le comte de Gueldre et le second, les châteaux de Limbourg, Bolduc et Sprimont.

Le comte de Flandre s'empressa d'obéir. Il n'en fut pas de même du duc de Brabant ; il ne remit son prisonnier que d'une manière fictive, c'est-à-dire « par parole et par gant », comme ou faisait alors dans certains cas ; ce qui ne l'empêcha pas de prendre possession de Limbourg et de Rolduc que le prélat eut l'imprudence de remettre en ses mains. Sur ces entrefaites, Renaud avait été transféré de Louvain à Nivelles. L'évêque étant allé lui faire visite dans cette dernière ville, le comte de Gueldre confirma devant lui et plusieurs seigneurs, le compromis fait pour sa délivrance, et requit le prélat de terminer l'affaire. Il nomma ensuite deux fondés de pouvoir, à l'effet de poursuivre le payement de l'amende de cent mille livres parisis, à laquelle le duc de Brabant s'était lui-même condamné, au cas où il persisterait à retenir le comte en prison. Guillaume d'Avesnes fit le 15 décembre sommation à Jean 1er de lui livrer le lendemain le comte de Gueldre, sous peine de l'amende convenue. Il invita en même temps les parties à comparaître devant lui. Le duc, n'ayant obéi à aucune de ces injonctions, fut condamné par défaut. Le jugement portait que ce prince, ayant manqué à sa parole, ne pouvait conserver les châteaux et Limbourg et de Rolduc, ni occuper le duché de Limbourg, ni exiger l'hommage d'aucun tenant fief de ce duché, tant qu'il n'aurait pas exécuté les ordres du juge arbitre.

Après avoir ainsi formulé sa décision, l'évêque de Cambrai, dégoûté de cette affaire qu'il désespérait de conduire à bonne fin, s'en déchargea sur Guillaume, fils du comte de Flandre, dont les efforts ne furent pas plus heureux.

Le sire de Fauquemont, ennuyé de tous ces pourparlers, de toutes ces formes judiciaires qui ne produisaient aucun résultat, avisa que le seul moyen de délivrer le comte de Gueldre, était d'en appeler au glaive. Il contracta en février 1289 une alliance avec Gui de Dampierre, contre Jean 1er et l'évêque de Liège. La guerre s'ensuivit, et comme Waleran l'avait prévu, elle trancha la difficulté. L'histoire ne nous en a pas conservé les détails, mais conformément au traité de paix du mois d'août de la même année, le comte de Gueldre fut tiré de sa prison et remis à Philippe le Bel, roi de France, qui du consentement de ce prince et du duc de Brabant, devait dans un délai prescrit, prononcer sur le droit que l'un ou l'autre avait ou pouvait avoir au duché de Limbourg, ainsi que sur les divers autres points en litige.

Après avoir entendu les défenses verbales des parties et s'être entouré de tous les renseignements nécessaires, Philippe le Bel se prononça le 15 octobre. Il commença par mettre Renaud en liberté et lui demanda si, maintenant qu'il était maître de sa personne , il confirmait les promesses qu'il lui avait faites précédemment. Sur la réponse affirmative qu'il en reçut, il donna lecture de son jugement. Le comte de Gueldre devait renoncer pour toujours, en faveur du duc de Brabant, à tout droit qu'il avait ou pouvait avoir sur le duché de Limbourg et ses dépendances, ainsi que sur les châteaux de Duinsbourg, de Wassemberg, de Herve, de Rolduc et de Sprimont. Il était tenu de dégager de toute hypothèque celles de ces places qui en étaient chargées. Le duc de Brabant et le comte de Gueldre devaient se tenir pour toujours quittes l'un envers l'autre de toute compensation pour les offenses et dommages qu'ils se seraient faits, par eux-mêmes ou par leurs gens, dans le cours de la dernière guerre. Les îles de Bommel et de Thiel devaient être rendues à Renaud, à la seule condition d'en faire hommage à Jean 1er. Le comte de Flandre devait rembourser au duc de Brabant, dans l'octave de la Toussaint prochaine, la somme de quatre mille marcs dont il lui était redevable comme garant de la promesse faite par Waleran de Fauquemont, un an et demi auparavant, de ne pas porter les armes contre le duc.

En outre, Gui de Dampierre était obligé de remettre, dans le même délai, à Jean1er, les châteaux de Herve et de Sprimont dont il était resté détenteur. Moyennant ces diverses clauses, la paix et la concorde régneraient désormais entre le comte de Gueldre et le duc de Brabant, qui de part et d'autre, oublieraient tout sujet de mésintelligence et de rancune. Les alliés des deux princes se trouvaient compris dans cette paix.

Le sire de Fauquemont et le comte de Gueldre s'avancèrent alors afin de prêter, en présence du roi de France, foi et hommage à Jean 1er pour les fiefs que l'un tenait du duché de Limbourg, et l'autre du duché de Brabant ; après quoi, Waleran, Renaud, Gui d'un côté, et Jean 1er de l'autre, se donnèrent le baiser de paix. Le comte de Gueldre rendit sa renonciation plus solennelle encore en invitant, par une charte du même jour, 15 octobre 1289, tous les sujets du duché de Limbourg et des territoires qui en dépendaient, à obéir par la suite avec respect à l'illustre prince son seigneur Jean, duc de Lothier, de Brabant et de Limbourg, et en déclarant que tous fidèles, vassaux, hommes liges et ministériels dont il avait reçu foi, hommage et serment de fidélité, en étaient dégagés envers lui, et devaient les prêter désormais à Jean 1er comme à leur véritable maître (**).

Il ne restait plus à Jean 1er que d'être confirmé par l'empereur dans la possession du Limbourg. Rodolphe, que l'intervention du roi de France dans cette affaire avait vivement contrarié, procéda avec une extrême lenteur à l'examen des titres qui lui furent soumis. Il mourut même sans avoir rien décidé. Ce en fut qu'en 1292 que le duc de Brabant obtint d'Adolphe de Nassau l'acte de confirmation qu'il avait sollicité. Il n'en avait pas moins, en attendant, exercé la juridiction ducale, et levé des impôts extraordinaires dont ses nouveaux sujets s'étaient montrés fort mécontents. Il avait même engagé un commencement de guerre contre les Liégeois.

L'évêque, Jean de Flandre, s'était permis de transformer en château fort l'abbayedu Mont Cornillon, sur laquelle les ducs de Limbourg possédaient certains droits. Jean 1er, le lendemain du jour de l'ascension 1291, envoya sur les lieux 300 cavaliers, dont plusieurs parvinrent, avant le lever du soleil, à escalader les murs du château. La femme du commandant Gautier de Jupille, les ayant aperçus, appela au secours ; les soldats de la garnison, encore endormis, furent debout en un instant ; unis à un grand nombre d'habitants de la ville, accourus à leur aide, ils repoussèrent les Limbourgeois restés en dehors de la place, et firent prisonniers ceux qui s'y étaient introduits. Les Liégeois pour se venger de cette violation de leur territoire, firent dans le Limbourg et dans le comté de Daelhem, une excursion à la suite de laquelle plus de quarante villages ou hameaux, à peine relevés de leurs ruines, furent de nouveau saccagés et brûlés.

Lorsque Renaud recouvra la liberté, il y avait près de six mois que son compagnon d'infortune, l'archevêque de Cologne, sorti de prison, s'était arrangé avec le duc de Brabant et le comte de Berg. Celui-ci avait soumis son prisonnier à d'étranges tortures. Il l'avait forcé de conserver, même pour dormir, son heaume, son haubert, son épée et son armure. S'il faut en croire quelques historiens, l'archevêque ne se serait pas vengé moins cruellement de son noble geôlier. Il l'aurait attiré dans un piège, l'aurait fait conduire à Cologne et l'aurait fait enfermer dans une cage de fer jusqu'à sa mort, arrivée en 1296. On ajoute que, par un raffinement de barbarie, qui passe toute vraisemblance, Siffroi ordonna, pendant l'été, que le comte fut dépouillé de ses vêtements, enduit de miel et exposé en plein soleil aux piqûres des insectes. Autant la détention du comte de Berg est certaine, autant sa durée et les circonstances qu'on en raconte sont douteuses.

Réconcilié avec ses principaux ennemis, Jean 1er, pour s'assurer de plus en plus la jouissance paisible du pays qu'il avait conquis, chercha à se réconcilier également avec la maison de Luxembourg qui, en renouvelant ses prétentions sur le duché de Limbourg, pouvait tout remettre en question. Grâce aux démarches que sa sœur, la reine douairière de France, tenta auprès de Béatrix, veuve d'Henri III, cette princesse consentit à ce qu'Henri, son fils aîné, qui plus tard fut élu empereur d'Allemagne, épousât Marguerite, fille aînée du duc de Brabant. Le mariage eut lieu au château de Tervueren, près de Bruxelles, le 9 juin 1292. Une scène touchante couronna cette solennité. Wautier Van der Bisdomme qui à Woeringen, avait tué le comte de Luxembourg, osa pour obtenir l'oubli de la mort du père, en appeler à la magnanimité du fils, lequel daigna le recevoir en grâce en présence de toute la cour.

Mais il restait une branche de la famille de Limburg, qui pendant longtemps encore, devait tenir en haleine la maison de Brabant, et occuper le monde de ses belliqueux exploits.

(*) On raconte qu'avant la bataille de Woeringen, Gui de Dampierre parlant à sa femme des vœux qu'il formait pour que cette longue querelle de familles s'arrangeât aimablement, Isabelle lui répondit toute courroucée : « Pour Dieu, sire, ne m'en parlez plus et ne vous inquiétez pas de leur différend, car les fèves ne sont pas encore mûres ». Lorsque Gui connut le résultat de la journée du 5 juin, il alla trouver la comtesse et lui dit : « Eh bien ! madame, les fèves sont mûres ; tous vos frères sont morts, égorgés sur le champ de bataille de Woeringen ; Renaud de Gueldre et l'archevêque de Cologne gisent à la prison du duc de Brabant victorieux ». Isabelle de Luxembourg se réfugia en sanglotant dans son oratoire et y passa toute la nuit en prière.

(**) Renaud finit bien tristement ses jours. Son fils s'empara de ses Etats et le priva de la liberté, au mois de décembre 1318, sous prétexte que son cerveau s'était dérangé par suite d'une blessure qu'il avait reçue à la tête lors de la bataille de Woeringen. Il mourut le 9 octobre 1326, et fut enterré au monastère de S'Gravendael, près de sa première femme, Ermengarde de Limbourg.

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