Histoire du Limbourg Marcellin LAGARDE II et III

II LE LIMBOURG ERIGE EN SOUVERAINETE HEREDITAIRE

REGNES DE FREDERIC DE LUXEMBOURG ET DE WALRANUDON 1055-1082

Ce n'est qu'à partir de la seconde moitié du XIè siècle que les fastes du Limbourg  commencent à se débrouiller et qu'il est permis de suivre la filiation de ses princes jusqu'à leur extinction.

Le duché de la Basse Lorraine, malgré les sages mesures que Brunon avait prises pour y maintenir la paix, s'était vu déchiré et par les guerres particulières des seigneurs, et par les entreprises de Louis d'Outremer et de Lothaire, son fils, pour recouvrer une province qui convenait si bien à la couronne de France. Tant de sang versé n'aboutit cependant pas à la soustraire à la domination de l'empereur d'Allemagne qui en conféra en 1005, le gouvernement à Godefroid d'Ardenne, à l'exclusion de Lambert II, comte de Louvain, qui y prétendait. Nouvelle guerre entre ces deux seigneurs, dans laquelle la victoire resta à Godefroid.

Une longue période de paix succéda à ces agitations ; mais elle fut troublée par un des descendants de Godefroid qui, n'ayant pu obtenir l'investiture de la Basse Lorraine, s'allia avec le comte de Flandre et rompit en visière à l'empereur Henri III. Ce monarque se vit repoussé dans une attaque contre la Flandre et fut poursuivi jusqu'aux frontières d'Allemagne. Plus heureux dans une seconde agression, il força le rebelle Godefroid à se soumettre. Parmi les seigneurs qui l'avaient le plus activement secondé, se trouvait Frédéric, l'un des fils puînés du comte de Luxembourg. En l'an 1046, Henri III crut devoir l'en récompenser, par le duché de la Basse Lorraine et le marquisat d'Anvers ; mais il entrait trop dans les mœurs de ce temps de ne respecter aucun droit acquis, pour que Godefroid laissât Frédéric dans la paisible jouissance de son duché. Il essaya de l'en déposséder et dans une rencontre qu'ils eurent, Frédéric fut battu et obligé de se réfugier à Anvers ; peu de temps après en 1156, l'empereur Henri IV conclut avec Godefroid un traité de paix dont la condition principale fut que le duché de Basse Lorraine serait partagé entre les deux prétendants. Frédéric étant mort le premier, Godefroid fut investi du titre de duc.

C'est ce même Frédéric que l'on regarde comme le premier seigneur héréditaire du Limbourg. Voici comment : « le comte de Luxembourg, son père, possédait dans le canton de Mosagau, plusieurs francs alleux, ou terres exemptes de tout droit féodal. A sa mort en 1039, il en constitua Frédéric légataire. Celui-ci dut sans doute à ces possessions d'être créé comte bénéficiaire du Mosagau, charge dont il obtint ensuite la propriété ; car nous voyons en 1055 ce canton changer de nom et prendre celui de 'comté du duc Frédéric'.

A cette époque où la force remplaçait le droit et la justice, les prélats guerroyaient comme les autres seigneurs, et quelquefois même ils se combattaient mutuellement. Les abbayes étaient surtout pour eux un brandon de discorde, et il leur arrivait de s'en disputer la propriété les armes à la main.

Dans une diète tenue à Trèves en 1065, Hannon, archevêque de Cologne, s'en était fait attribuer plusieurs entre autres celle de Malmédy. L'abbé nommé Thierry, en appela à Frédéric de Luxembourg qui amena un corps de troupes à Malmédy où il fit construire un fort pour y établir son armée d'une manière permanente. Or l'archevêque disposait en ce moment du pouvoir impérial. Il avait fait enlever le jeune roi de Germanie, Henri IV, âgé de six ans à peine et le tenait sous sa tutelle.

La cour déclara donc Frédéric ennemi de l'Empire et le cita à comparaître devant elle. Frédéric accueillit fort mal le héraut qui lui transmit cet ordre et se maintint tant qu'il vécut dans son rôle de défenseur des droits de Thierry. Ce ne fut qu'après sa mort que l'archevêque put entrer en possession de l'abbaye de Malmédy. Les cendres de Frédéric mort en 1065, furent déposées à l'abbaye de Stavelot. Il s'était marié deux fois : « la première à Gisberte de Boulogne et la seconde à une princesse de Saxe ».

De son premier mariage, il eut une fille appelée Judith, qui épousa Waleran II, comte d'Arlon, descendant des comtes d'Ardenne par son père, des rois de France et des empereurs d'Allemagne de la maison de Saxe, par sa mère. Judith obtint en dot, du duc Frédéric, une partie du territoire que ce dernier possédait dans le Mosagau.

La plus grand obscurité règne sur la vie et les exploits de Walran. Nous savons seulement qu'en 1061, il fit relever un château ruiné par les Normands et situé au sommet de la montagne sur laquelle était assise la ville de Limbourg, comprise dans la dot de sa femme.

Comme nous l'avons dit déjà, les seigneurs qui au moyen âge possédaient des terres libres ou des châteaux, ayant coutume d'en prendre le nom, Walran prit celui de comte de Limbourg, et devint le fondateur de la dynastie dont nous allons raconter l'élévation et la décadence.

III REGNE DE HENRI Ier 1082-1119

Walran Udon laissa un fils nommé Henri, qui lui succéda. Le premier acte auquel nous le voyons prendre part en qualité de comte de Limbourg et d'Arlon, est l'érection du tribunal de paix à Liège, en 1082.

La société à cette époque présentait le plus désolant spectacle. Un nombre infini de manoirs s'élevaient sur des montagnes couvertes de forêts ou baignées par quelque rivière qui les rendait plus inaccessibles encore . Les invasions des Normands et des autres barbares au IXè siècle, motivèrent d'abord ces constructions auxquelles les burgs élevés par les Romains sur les bords du Rhin et du Danube, servirent de modèles. Elles étaient conçues d'après un plan

uniforme. Toutes présentaient un mur extérieur de dix à quinze pieds d'épaisseur, percés de barbacanes aux angles des tourelles et des bastions ; une tour d'où le garde observait les survenants ; une cour extérieure où se trouvaient les bâtiments accessoires et la chapelle ; un puit creusé dans le roc ; quelquefois une arène destinée aux tournois ; puis encore un mur, puis le véritable donjon ; un petit pont-levis ; une entrée opposée obliquement à la grande porte et aussi étroite que possible, de même que les embrasures des fenêtres ; un rez-de-chaussée voûté ; de sombres souterrains. Tel était l'aspect de ces forteresses, du haut desquelles les châtelains bravaient toute autorité, et s'élançant dans la plaine, suivis de leurs hommes d'armes, se ruaient sur les voyageurs qu'ils rançonnaient ; pillaient les vilains et se faisaient la guerre entre eux.

Ce système d'attaques et de représailles engendrait de tels désordres que plusieurs grands feudataires, menacés eux-mêmes par les petits despotes que recelait chaque montagne, se réunirent au nombre de vingt-deux à l'effet d'opposer une barrière à leurs exactions. Ils instituèrent un tribunal dont le siège était à Liège et dont l'évêque était de droit président. Les faits de violences, de rapts, de vol public, d'incendies, de contravention aux trêves, rentraient dans la juridiction du tribunal des vingt-deux.

C'était devant la porte du palais épiscopal, peinte en rouge, que le prélat rendait justice. Lorsque l'accusé invoquait les voies du droit, son affaire était soumise à deux vassaux ou au jugement de Dieu. Dans ce dernier cas, les combattants étaient armés par le mayeur et enfermé dans une arène de vingt pieds carrés. Les accusés défaillants étaient, après la septième citation, bannis et excommuniés. Les ecclésiastiques n'étaient pas soumis à la juridiction de ce tribunal. N'oublions pas d'ajouter que les seigneurs qui l'établirent se réservèrent la même exception. Tous les individus qui habitaient sur les terres des vingt-deux étaient donc justiciables de l'évêque de Liège.

Ce ne fut qu'en 1349 que les habitants du Limbourg, ainsi que ceux du Brabant obtinrent de l'empereur Charles IV le privilège de ne relever judiciairement d'aucun étranger.

Henri I étant bientôt entré en guerre avec Egilbert, archevêque de Trèves, donna le signal des divisions qui ne cessèrent de régner entre la plupart de ses successeurs et les prélats des pays rhénans. Adélaïde, comtesse d'Arlon, se trouvant veuve, avait dans l'intérêt du salut de son âme, légué tous ses biens à Egilbert, et elle y avait été autorisée par ses enfants ; Henri, peu soucieux des dernières volontés de son aïeule, recourt aux armes pour revendiquer les domaines dont celle-ci avait gratifié l'église de Trèves. L'archevêque l'excommunie ; il n'en est que plus irrité. Il envahit les terres de l'archevêché que ses troupes pillent et ravagent. Egilbert prend la cuirasse et l'épée, va lui-même à sa rencontre et le repousse dans ses Etats (1092). Malgré cet échec et l'excommunication dont il était frappé, Henri n'en continua pas moins à insulter l'archevêque. Mais une circonstance rapportée par des naïfs chroniqueurs du temps et considérée par eux comme un avertissement du ciel, l'engagea disent ils, à entrer en arrangement .

Etant à dîner avec un de ses vassaux, également excommunié, il lui déclara en riant, qu'il avait des scrupules de se voir attablé avec lui. Le gentilhomme riposta par d'autres plaisanteries. Un chien se trouvait dans la salle. C'était alors une opinion répandue que les chiens refusaient leur nourriture de la main des hommes frappés des foudres de l'Eglise. Le comte de Limbourg voulu tenter l'épreuve ; il offrit un morceau de pain à l'animal qui refusa ; une autre personne le lui ayant offert ensuite, le chien accepta. Ce que voyant, le comte rentra en lui-même et s'empressa de faire la paix avec l'archevêque.

A peu près vers la même époque, c'est-à-dire en 1095, Henri vassal de l'église de Liège, fut appelé par l'évêque Otbert, en même temps que Godefroid de Bouillon et d'autres seigneurs, à prendre part à la guerre que soutenait le prélat contre le comte de Louvain. Il assista encore Otbert dans une autre expédition contre Lambert, sire de Clermont, dont le manoir situé sur la rive droite de la Meuse, était occupé par une garnison habituée à piller les bateaux qui naviguaient sur cette rivière. On ignore quelle fut l'issue du siège de Clermont. On sait seulement que l'année suivante le châtelain vendit ses terres à l'église de Liège pour se rendre en Palestine avec Godefroid de Bouillon.

Le comte de Limbourg fut pour les abbayes des environs un sujet de continuelles terreurs. Celle de St Trond se ressentit surtout de ses persécutions. Henri en était haut avoué. Au moyen âge, les corporations ecclésiastiques ne pouvaient gérer par elles-mêmes leurs affaires temporelles. Elles étaient tenues d'en remettre le soin à quelque seigneur qui prenait la qualité d'avoué (advocatus), et qui en même temps les couvrait de sa protection. Comme une haute avouerie était une source d'excellents revenus, on s'en disputait souvent le titre à main armée. Il arrivait aussi que tel abbé était obligé de céder sa place au premier aventurier venu qui

était protégé par quelque comte ou quelque baron puissant. L'abbaye de St Trond avait alors pour chef Thierry, hagiographe distingué, dont il nous est resté de nombreux écrits. Henri de Limbourg désirait le voir remplacé par un moine appelé Hériman qu'il affectionnait beaucoup. Les ouvertures qu'il avait faites aux religieux pour les engager à entrer dans ses vues, avaient toujours été repoussées. Las de ces vains pourparlers, il prit un jour la résolution de recourir à la force pour installer son protégé. Il sortit de sa forteresse accompagné de Hériman chevauchant à ses côtés, et suivi de plusieurs hommes d'armes. A l'approche du comte, Thierry prit la fuite et se rendit au château de Gilbert de Duras, qui était son sous avoué.

Ce seigneur se mit à la tête d'un corps de troupes et se dirigea vers St Trond. Mais il ne put réinstaller l'abbé que dans le monastère ; la maison abbatiale était occupée par l'intrus qui s'y était retranché comme dans un fort, et se trouvait placé sous la garde de quelques soldats que lui avait laissés le comte. Il se croyait si sûr de sa position qu'il brava l'excommunication dont le frappa aussitôt Otbert, évêque de liège. Sur ces entrefaites, l'empereur se rendant à Anvers pour y avoir une entrevue avec le comte de Flandre, vint à passer par St Trond et mit pied à terre à l'abbaye. Hériman ne put se refuser à lui céder l'appartement qu'il occupait, mais après le départ du monarque, lorsqu'il voulut y rentrer, il en trouva la porte gardée par des moines qui lui signifièrent énergiquement leur résolution d'en défendre l'approche à tout autre qu'à leur chef légitime. Dès qu'Henri de Limbourg eut connaissance de l'affront fait à son protégé, il entra dans une grande fureur. Il donna à ses gens l'ordre de faire aux religieux une guerre d'extermination. Il alla plus loin ; plusieurs habitants de St Trond ayant embrassé la cause de Thierry et menacé de tuer Hériman, le comte porta un édit par lequel il condamna les uns à être pendus, les autres à avoir les yeux arrachés, le nez, les mains et les pieds coupés. A la nouvelle de ces sanglants projets, une terreur si profonde s'empara de la ville qu'Hériman fut remis sans difficulté à la tête de l'abbaye.

Tranquille de ce côté, le comte de Limbourg songea ensuite aux moyens d'arrondir ses Etats au préjudice des petits seigneurs, ses voisins. Il s'adressa, entre autre, à celui de Rolduc pour lui réclamer, on ne sait sous quel prétexte, le tiers de son pays. Cette réclamation fut naturellement repoussée. Henri se mit alors, suivant l'usage, à faire des courses sur les terres contestées, ruinant et brûlant les villages, saccageant les châteaux et les églises.

Nous arrivons à une série d'événements plus importants ; c'est avec l'empereur lui-même que va se mesurer le comte. L'abbé de Pruim avait obtenu en donation la terre de Pruimsfeld, située dans la seigneurie de Rolduc. Henri forma des prétention sur ce domaine. L'abbé qui savait à quel fougueux adversaire il allait avoir affaire, prit son recours vers l'empereur Henri IV, qui depuis longtemps voyait avec déplaisir l'audace et l'arrogance du comte de Limbourg. Un pareil vassal, qu'aucun frein ne semblait arrêter, était fort embarrassant pour un suzerain, dont le trône était sans cesse menacé par les factions, nées de ses démêlés avec les évêques à l'occasion de l'investiture des bénéfices. Il résolut donc de mettre un terme à l'épouvante qu'inspirait le sire de Limbourg à tous les seigneurs et à tous les prélats des bords de la Meuse et du Rhin. Il paraît, en outre, que l'empereur soupçonnait Henri de faire partie d'une conspiration tendant à lui substituer son fils Conrad.

Quoi qu'il en soit, vers le milieu du mois d'avril 1101, ce monarque se mit en marche pour venir assiéger le château de Limbourg. Il passa à Liège le jour de Pâques et le lendemain, ses troupes entrèrent sur les terres du comte. Il était suivi d'un grand nombre de prélats, de comtes et de margraves. Cependant Henri, renfermé dans sa forteresse, attendit bravement l'attaque de l'armée impériale, qui après avoir détruit sur la route plusieurs places fortes, arriva enfin sous les murs du Limbourg, autour desquels, à plusieurs mille toises à la ronde, s'élevait un rempart formidable d'hommes, de lances et de flèches. En présence d'un tel appareil, Henri comprit qu'il lui faudrait tôt ou tard capituler. Il ne voulut pourtant pas qu'on pût l'accuser de s'être rendu sans coup férir. Il résista donc pendant environ deux mois et avec tant d'énergie que ses ennemis eux-mêmes qualifièrent sa défaite d'honorable. Il est même permis de supposer qu'avant de se rendre il se sentait assez fort encore pour traiter avec l'empereur de puissance à puissance ; car la seule condition que celui-ci lui imposa fut de restituer aux églises et aux monastères qu'il avait maltraités, les biens dont il s'était emparé à leur préjudice.

Quant à ses prétentions sur Pruimsfeld, une diète tenue à Cologne le condamna peu après à s'en désister. Il promit solennellement de se soumettre à cette résolution ; mais telle était la trempe de son caractère qu'il nia plus tard cet engagement, et sans l'indignation soulevée à ce sujet parmi tous les seigneurs de l'empire, il allait guerroyer de nouveau pour revendiquer la propriété de Pruimsfeld.

Godefroid de Bouillon, duc de Basse Lorraine, qui se connaissait en valeur, avait en partant pour la terre sainte à la tête de la première croisade, choisi Henri de Limbourg pour gouverner le duché pendant son absence. Ce fait, qui a été contesté, est d'autant plus vraisemblable qu'après la mort de Godefroid, l'empereur qui jusque là n'avait pas eu à se louer de la conduite du comte, lui donna cependant le gouvernement de la Basse Lorraine et celui du marquis d'Anvers. Ce choix eut lieu dans une diète tenue à Mayence aux fêtes de Noël de l'an 1101. Déjà possesseur de biens allodiaux considérables, Henri investi de deux gouvernements importants, se trouva dès lors un des plus puissants princes de l'époque. Bien des rois auraient baissé leur bannière devant la sienne.

Notons, avant d'aller plus loin, que c'est dans l'avènement d'Henri I au duché de la Basse Lorraine, qu'il faut chercher l'origine de la transformation du comté de Limbourg en duché.

Les princes limbourgeois, quoique dépouillés du gouvernement de la Basse Lorraine, comme on le verra par la suite, n'en persistèrent pas moins à prendre le titre de duc, en y ajoutant le nom de leur seigneurie ; titre que les empereurs leur accordèrent tacitement, en les qualifiant de la sorte dans les chartes et diplômes qui les concernaient.

Henri de Limbourg, devenu le premier vassal de l'empire, devait être nécessairement entraîné dans le tourbillon soulevé en Allemagne à cette époque, par le pape et le fils de l'empereur Henri II, d'un côté et de l'autre, par le malheureux monarque. Il y joua en effet un rôle très important.

Jusqu'à l'avènement de Grégoire VII au pontificat, les prélats de l'Empire avaient toujours été nommés par les chanoines, dont le choix était soumis à l'approbation royale. Ils étaient au nombre de vassaux immédiats et rendaient en cette qualité hommage pour leurs fiefs. Grégoire VII, après diverses modifications qu'il fit subir à la constitution de l'Eglise d'Allemagne, décida que désormais les chefs des Eglises seraient nommés par lui, ou qu'il dirigerait les élections des chapitres. La souveraineté du tiers de l'Allemagne tombait ainsi au pouvoir de la papauté. Henri IV protesta contre cet ordre ; il continua de remplir les sièges

vacants dans la forme usitée. Les membres de son conseil furent excommuniés avec tous les évêques et abbés de sa création. Ces prélats, assemblés en synode, de leur propre autorité, ne craignirent pas de déposer Grégoire VII. Mais le pontife répondit à cet acte en lançant contre le roi les foudres du Vatican et lui fit donner un successeur (1) Henri IV de son côté nomma un nouveau pape.

Il résultat du choc de ces mesures contraires, une foule d'événements dont le plus cruel pour le cœur du monarque fut la révolte de ses deux fils. L'aîné, Conrad, fut vaincu et mourut empoisonné. Le second, Henri, profita pour se révolter à son tour, de l'absence des principaux partisans de l'empereur qui étaient partis pour la croisade. Il fit savoir au pape Pascal II que son projet n'était pas de s'emparer du trône, mais d'amener son père à se réconcilier avec le Saint-Siège ; et il obtint ainsi de ce pontife d'être absous d'avance.

Une guerre impie s'engagea dès lors entre le père et le fils. La victoire se rangea du côté de l'usurpateur. Henri IV, après avoir séjourné quelques temps en Bohême, vint chercher un asile à Liège. L'évêque de ce diocèse montra le plus entier dévouement à celui qu'il n'avait cessé de regarder comme son suzerain.

Ce fut là que le duc de Limbourg rendit visite au monarque malheureux et lui offrit l'appui de sa redoutable épée.

Fort de ces deux alliés, Henri IV se prépare à recommencer la guerre. Il se dirige jusqu'aux environs de Coblentz où il rencontre son fils qui lui fait faire des propositions de paix. L'empereur croyant que la voix de la nature a enfin subjugué l'âme de ce fils ingrat, se hâte de renvoyer son armée. Il est aussitôt arrêté et conduit dans une forteresse où on lui offre la liberté au prix de son abdication. Il abdique mais n'obtient pas sa liberté. Il parvient à s'évader et se réfugie de nouveau à Liège, où Henri de Limbourg et la plupart des seigneurs de la Basse Lorraine se déclarent prêts à prendre sa défense.

Des historiens prétendent que ce fut à Limbourg qu'il chercha cette fois un refuge. Ils rapportent que le duc se trouvant à la chasse, aurait fait rencontre d'un cavalier déguisé, escorté de quelques personnes et se dirigeant vers le pays de Liège. Il aurait fini par reconnaître le monarque proscrit et l'aurait conduit à son château. Quoi qu'il en soit de cette anecdote, Henri de Limbourg réunit huit cents cavaliers et escorta l'empereur jusqu'à Cologne. Le rebelle vint aussitôt assiéger cette ville. L'empereur y eût été infailliblement pris s'il n'était parvenu à passer inaperçu à travers les rangs ennemis. En proie au désespoir le plus profond, il revint à Liège où il projeta de frapper un coup décisif. Dans ce but il adjura tous ses vassaux de former une ligue assez puissante pour faire triompher son bon droit. A cette nouvelle, son fils lui fit savoir que désirant enfin en venir à une réconciliation sincère, il se proposait de se rendre à Liège aux prochaines fêtes de Pâques (1105). L'empereur, soupçonnant que cette démarche cachait quelque perfidie, lui écrivit pour l'en détourner. Voyant qu'il persistait, et ne voulant pas rendre l'évêque victime de son hospitalité, il s'apprêta à quitter Liège ; mais Otbert et le duc de Limbourg s'opposèrent à son départ.

Henri IV ne s'était pas trompé sur les desseins de son fils. Le but de celui-ci était, en effet, de s'emparer de sa personne. Il avait même essayé de mettre le duc de Limbourg dans des intérêts. Ce seigneur avait feint d'embrasser son parti, dans le dessein de le perdre plus aisément. Le 22 mars, un corps de cavalerie est envoyé par le rebelle pour occuper le pont de Visé et lui assurer ainsi le passage de la Meuse. Dès que cette nouvelle parvint à Liège, Henri de Limbourg, Waleran son fils et Godefroid, comte de Namur, se mirent en marche. Waleran suivit la rive gauche de la Meuse et alla se poster en face du pont avec un corps de troupes peu considérable. Le duc et Godefroid s'étaient placés en embuscade pour soutenir cette avant-garde.

L'usurpateur soupçonnant qu'il est joué par celui dont il comptait s'être fait un auxiliaire, se décide à ne pas hasarder le passage du pont. Il fait offrir à Walran un combat à forces égales. Celui-ci se met à la tête d'un peloton et se dispose bravement à passer sur l'autre rive. Mais, après un léger engagement, il simule une retraite. L'ennemi, pris au piège, entraîné par la chaleur de l'action, se met à poursuivre Walran et se voit bientôt enveloppé de tous côtés par le duc et le comte de Namur qui sortent de leurs retraites. Cinq cent cavaliers allemands trouvèrent la mort dans cette rencontre ; la plupart furent noyés dans la Meuse. Leur chef ordonna aussitôt la retraite de la grande armée avec laquelle il se préparait à fondre sur le pays de Liège.

L'empereur profite de cette victoire pour faire une seconde tentative sur Cologne. Plus heureux cette fois que la première, il s'empare de la ville et en chasse l'évêque, un des partisans de son fils. Il se propose de se servir de Cologne comme d'un point d'appui pour étendre ses conquêtes dans l'empire. Il la fait entourer d'ouvrages de défense. Les fortifications de Liège et de plusieurs autres places sont également augmentées et un nouvel appel est fait aux seigneurs de la Basse Lorraine.

Le fils de l'empereur adresse de son côté une circulaire aux princes de l'empire pour qu'il l'aident à tirer vengeance du duc de Limbourg et de l'évêque de Liège, et il les invite à se trouver à Wurtzbourg le 1er juillet avec leurs troupes respectives (2). En attendant, il ouvre à Worms, le jour de la Pentecôte, une diète dans laquelle il déclare le duc de Limbourg criminel de lèse-majesté et ennemi de l'Etat ; sa déchéance du duché de Basse Lorraine y est également prononcée. Cette diète se clôt par un nouvel appel aux armes.

Le 1er Juillet arrivé, l'armée de celui qui du vivant même de son père s'était donné le nom d'Henri V, se rassemble aux environs de Coblentz ; vingt mille hommes en sont détachés pour aller investir Cologne. Le duc de Limbourg les oblige bientôt à en lever le siège. Ayant rassemblé de nouvelles troupes dans la Basse Lorraine, il s'avançait vers les assiégeants qu'il se proposait de surprendre. Henri IV, informé de cette marche, et craignant d'être pris à dos par les assiégés, tandis qu'il livrerait bataille au duc Henri, prit le parti de lever son camp. Il se dirigea vers Aix-la-Chapelle, d'où il lança ses soldats sur le territoire du Limbourg qu'il fit ravager. Il paraît que dans l'une de ces expéditions il faillit tomber entre les mains du duc, qui était accompagné seulement de sept de ses gens. On n'a aucun détail à ce sujet.

La cause de l'empereur gagnait chaque jour du terrain, lorsque la mort le frappa. Il expira à Liège, après une courte maladie, le 7 août 1106, en s'écriant : « Dieu des vengeances, vous vengerez ce parricide ! ». Otbert lui fit de splendides funérailles. Mais Henri V, devenu enfin légitime empereur, poursuivit son malheureux père jusque dans la tombe. Il se servit de l'excommunication lancée contre lui pour l'arracher du temple où il reposait et laissa pendant 5 ans son cadavre sans sépulture. Les princes qui avaient combattu Henri V s'empressèrent de lui faire amende honorable, dès qu' Henri IV eut cessé de vivre.

Seul, le duc de Limbourg refusa de faire sa soumission au nouvel empereur. Ce trait d'audace fit la plus profonde sensation dans tout l'empire germanique. Henri V en éprouva un ressentiment si vif, qu'il promit de faire raser le château de l'insolent vassal, et d'attacher celui-ci, mort ou vivant, au sommet d'un chêne de la montagne pour le livrer en pâture aux corbeaux. Sans doute pour en arriver là, les difficultés lui parurent plus grandes, car il leva aussitôt une armée qu'on porte à cent mille hommes, avec laquelle il alla assiéger Limbourg.

Le duc ne put résister longtemps à pareilles forces. L'exaspération d'Henri V devait être bien calmée après ce siège, car il laissa la forteresse debout et quant au duc, il se borna à l'envoyer prisonnier au château de Durbuy et à le dépouiller du gouvernement de la Basse Lorraine qui fut conféré à Godefroid le Barbu, comte de Louvain.

Henri de Limbourg, captif, dépouillé de ses prérogatives et de ses biens, se décida enfin à se soumettre. Mais l'empereur ne tint aucun compte de cette résolution tardive. Il le fit transférer au château de Hildesheim, d'où peu après il parvint à s'évader. Le premier cri que devait pousser un pareil homme rendu à la liberté devait être un cri de guerre, sa première pensée une pensée de vengeance. Il n'avait ni vassaux ni hommes d'armes à son service, mais le prestige dont sa vaillance l'avait environné aux yeux des seigneurs de Basse Lorraine, était tel que la plupart se montrèrent aussitôt prêts à marcher avec lui, et qu'en peu de temps il eut une nombreuse armée à sa disposition. Il commença par attaquer Godefroid le Barbu, possesseur de son duché, et parvint à s'emparer d'Aix-la-Chapelle, capitale de la Basse Lorraine. Godefroid vint l'y surprendre. Ne s'attendant pas à cette attaque, il se vit obligé de prendre la fuite avec ses fils. Sa femme et plusieurs nobles de sa suite restèrent au pouvoir de l'ennemi. Godefroid, avec une courtoisie bien rare alors, renvoya la duchesse à son époux et n'exigea de ses autres prisonniers que d'entrer dans son parti.

Si le résultat de cette guerre ne réalisa pas toutes les espérances de Henri de Limbourg, il n'eut pas moins lieu de s'en féliciter. A la suite d'entrevues qu'il eut avec l'empereur et Godefroid le Barbu, il survint un accommodement qui lui permit de rentrer en possession de son château et de son comté. Une fois replacé sur ce terrain, il profita des avantages qui venaient de lui être faits, pour renouveler ses prétentions sur la Basse Lorraine. Godefroid le vainquit, et pour le punir de sa tentative, ne lui accorda la paix qu'à de très dures conditions, l'obligeant de lui céder une partie de ses possessions situées vers le couchant sur la rive droite de la Meuse. Le château de Daelhem y était compris. C'est ainsi qu'une portion de ce comté a passé aux mains des ducs de Brabant, de qui les comtes de Hostade le tinrent depuis un fief.

Henri de Limbourg, désormais impuissant contre Godefroid, ne put cependant se résoudre à rester inactif dans sa forteresse. L'abbaye de St Trond lui fournit l'occasion de sortir du repos auquel il était condamné. Nous avons vu précédemment qu'en 1099, il avait chassé l'abbé choisit par les religieux et lui en avait substitué un autre de son autorité privée. Celui-ci se maintint pendant sept ans, jusqu'en 1106 où n'ayant plus pour lui l'épée de son protecteur, il dut céder la crosse abbatiale à Thierry. Mais Henri de Limbourg n'était pas homme à céder aussi facilement . Ne pouvant agir à force ouverte, il agit par la ruse. Dans le courant de l'année 1107 il obtint d'Adalbéron, chancelier d'Henri V, l'ordre de rétablir Hériman à la tête de l'abbaye de St Trond. Il se préparait à faire exécuter cet ordre, lorsque Thierry mourut. Dès lors Hériman put aller sans obstacle reprendre possession de son monastère. Mais il n'en jouit pas longtemps. Un autre abbé fut régulièrement nommé au grand dépit du duc, et l'intrus se vit contraint à Liège, dans une assemblée de prélats et de nobles, de demander pardon à l'empereur et de jurer que désormais il ne recourrait plus à la violence pour sortir de son humble condition.

La conduite qu'Henri V avait tenue avant son avènement, avait fait espérer au clergé qu'il serait plus soumis à l'Eglise. Mais devenu empereur, il se montra envers le Saint-Siège aussi peu respectueux que l'avait été son père. S'étant rendu à Rome pour s'y faire couronner, le pape s'y étant refusé, à moins qu'il ne renonçât à l'investiture des prélats, Henri s'empara du pontife et des cardinaux dans l'église même. Il tint le pape prisonnier pendant deux mois, au bout desquels celui-ci consentit seulement à le proclamer empereur des Romains. Ces premières dissensions entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel s'envenimèrent de plus en plus, et embrouillèrent de nouveau les affaires de l'Empire.

Une ligue de grands vassaux, au nombre desquels se trouvait le duc de Limbourg, se forma contre Henri V. Comme l'archevêque de Cologne s'était mis à la tête des confédérés, l'empereur commence par assiéger cette place. Une première défaite ne le décourage pas. Il revient à la charge. Les assiégés se décident à faire une sortie. Henri de Limbourg prend le commandement de l'avant-garde et tombe sur l'armée impériale avec tant de promptitude et de vigueur qu'il la met en désordre et la force à battre en retraite. Cette lutte dura, avec une égale balance de succès et de revers, pendant plusieurs années encore. Enfin une diète eut lieu à Worms pour mettre fin à ces troubles et réconcilier le pape et l'empereur. Celui-ci, à bout de ressources, consentit pour obtenir la paix, à ce que l'investiture par l'anneau et la crosse fût laissée au Saint-Siège.

Ce fut la dernière guerre à laquelle prit part le duc de Limbourg. Il ne vit même pas l'accommodement qui s'ensuivit. Il termina sa laborieuse carrière dans le courant de l'année 1119. Il avait eu cinq enfants de son mariage avec Adélaïde de Badenstein en Bavière : deux fils et trois filles. Celles-ci firent toutes de belles alliances. L'une épousa Frédéric IV, comte palatin de Puthelendorf en Saxe ; la seconde Frédéric le Belliqueux, comte d'Ansberg et de Westphalie. La dernière fut mariée à Henri Ier, comte de la Roche et haut avoué de l'abbaye de Stavelot.

Quant à ses fils, la destinée de Waleran qui lui succéda est la seule qui soit bien connue. Henri, le second, occupa disent les uns, le siège épiscopal de Liège, de 1145 à 1164, sous le nom de Henri II ; d'autres, loin d'en faire un évêque, nous le montrent comme étant de souche des rois de Portugal, en le faisant épouser Thérèse de Castille, fille naturelle d'Alphonso VI roi de Léon de Castille. Il aurait obtenu la main de cette princesse par suite de services rendus à son père dans les guerres de ce monarque contre les Mores. Il paraît démontré cependant que le prince auquel il est fait ici allusion était fils d'Henri de Bourgogne. Enfin, on veut que le troisième fils du duc soit devenu la souche des comtes de Limbourg ou Limbourg en Franconie. Il aurait obtenu de son père les possessions que celui-ci tenait de sa femme dans ce pays.

(1) Il est peut-être intéressant de connaître l'appareil que mettait alors le Saint-Siège à l'excommunication des princes : on éteignait solennellement les cierges dans les églises ; le service divin était suspendu dans tout le royaume, ainsi que l'administration des sacrements ; on dépendait les cloches et l'on enterrait les statues des saints pour les préserver d'une atmosphère maudite ; les morts étaient jetés à la voirie sans cérémonie religieuse, le peuple était soumis au jeune, forcé de laisser croître sa barbe et de porter le deuil ; tous les plaisirs étaient suspendus ; il était défendu de se visiter et même de se saluer. Tous ceux qui s'opposaient à ces mesures étaient excommuniés à leur tour.

(2) Voici la partie de cette circulaire qui se rapporte au combat de Visé : « Comme nous approchions de Liège, où nous avions résolu de célébrer les Pâques, l'évêque et le duc Henri, de la fidélité et de l'attachement desquels nous avions conçu beaucoup de confiance, ont dressé des embûches à nos troupes et les ont attaquées à l'improviste, en on taillé une partie en pièces et ont forcé les reste à prendre la fuite. Nous avons autant de honte de dire quelle a été la perte que nos ennemis nous ont causés dans cette journée, que nous avons envie d'en tirer vengeance ».

Suite sur Histoire du Limbourg Marcellin LAGARDE IV et V

© 2021 Philippe REUL 
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